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Accord Mauritanie-Kinross : les avantages des uns et des autres…

Des sources proches des négociations entre la Mauritanie et la société canadienne Kinross a révélé que l’accord signé par les deux parties lundi n’est qu’un document des contours commerciaux de l’accord final en cours de finalisation et qui doit être signé dans trois mois.

Cette source qui a souhaité garder l’anonymat a ajouté que les deux parties sont convenues de l’application, dès le 1er juillet prochain, du nouveau système relatif au revenu de la Mauritanie en or, soit deux semaines après la signature du premier accord.

En vertu des nouvelles dispositions applicables dès le 1er juillet, le quota de la Mauritanie des revenus de la vente de l’or changera et sera donc lié au prix sur le marché international et en fonction des conditions actuelles le quota passera de 3 à 6%.

Le premier accord entre la Mauritanie et la société Tasiast Mauritanie Limited pour l’exploitation de la mine avait été signé le 17 juin 2006 et ne sera donc révisé que 14 années plus tard.

Les acquis pour la Mauritanie

Cette source proche des négociations précise que les avantages que tire la Mauritanie du nouvel accord se traduisent par la fixation des revenus au prix de l’or sur le marché mondial, en plus de l’obtention d’une représentation au sein du conseil d’administration de la société ce qui la rapproche des centres de décision.

Le plus important, selon les sources est que Kinross, en vertu du nouvel accord, va verser à la Mauritanie un montant de 25 millions de dollars comme royalties de bonne intention, et s’est engagée par ailleurs à participer au financement d’institutions publiques spécialisées dans le domaine de la recherche géologique grâce au versement annuellement d’un montant de 500 millions d’anciennes ouguiyas.

La société s’est engagée à effectuer des études sur l’impact local relatif à ses opérations en Mauritanie en collaboration avec la société financière internationale SFI, de même que l’augmentation et l’accélération du rythme des investissements au niveau de deux autres mines.

Elle entamera le développement de l’une d’elle dans les délais fixés.

Ces deux mines sont Tasiast-sud (Dakhlet Nouadhibou et inchiri) et N’dwass (Inchiri).

Les acquis pour Kinross

Le plus gros avantage pour la société canadienne est l’obtention d’un permis d’exploitation pour la mine de Tasiast-sud pour trente ans, une mine sur laquelle elle parie pour élargir ses travaux en Mauritanie avec une augmentation du volume des investissements et le lancement de projets à long terme.

La société a par ailleurs obtenu d’autres avantages dont notamment l’acceptation par la Mauritanie pour le paiement des droits sur l’exonération des droits sur les hydrocarbures mais aussi d’autres exonérations relatives à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), impayés à la société depuis plus de trois ans à cause, dit-on, d’un différend avec l’ancien président Mohamed O. Abdel Aziz.

L’expert qui avait suivi de près les négociations, commentant l’accord, tire la conclusion que la Mauritanie est revenue au respect de ses engagements internationaux, et que la société canadienne, en ce qui la concerne, s’engage à investir encore plus dans le pays et à une gestion rationnelle de ses ressources naturelles.

Les travailleurs : le grand absent

L’accord est resté muet sur bon nombre de questions dont la plus importante est celle des travailleurs mauritaniens de la société, d’autant que la signature de l’accord est intervenue au moment où une grève secouait la société, depuis le 1er mai et qui a été à l’origine de l’arrêt de travail dans la mine, une grève qui n’a pas donné de résultats à ce jour.     

Ce silence à propos de la situation des travailleurs a surpris les délégués des travailleurs contactés par Sahara Medias, qui ont estimé que ce silence ne présage pas de bonnes intentions à l’endroit des travailleurs qui sont la colonne vertébrale de la mine.

Les délégués considèrent que ce sont les travailleurs qui ont permis à la société en 2019 de réaliser des chiffres record en augmentant sa production de 56%, comparée à l’année d’avant, grâce à une production de 11 tonnes d’or.

La grève des travailleurs avait retardé la signature de l’accord, car il était prévu l’arrivée en mai, à Nouakchott, par vol spécial, d’une mission de la société pour la signature de l’accord, mais le mouvement de grève en a décidé autrement.

Processus historique

La société Tasiast Mauritanie Limited exploite la mine d’or de Tasiast dans le nord de la Mauritanie, en vertu d’un accord signé avec le gouvernement mauritanien en juin 2006 alors qu’elle appartenait à une autre société canadienne REDNECK.

Kinross va l’acquérir en 2010 pour un montant de 7 milliards de dollars, un marché considéré à l’époque comme le marché commercial le plus important dans l’histoire de la Mauritanie.

L’acquisition par Kinross de la société Tasiast Mauritanie Limited est intervenue alors que la production de la mine était de 150.000 onces (environ 5 tonnes).

Kinross avait annoncé, dès le départ, son désir d’élargir la mine, d’en augmenter la production et d’en réduire les coûts, une tâche qui n’était pas facile.

Dès le départ, la société a eu des problèmes avec ses actionnaires qui l’avaient accusé d’avoir fourni des données erronées pour les pousser à acheter la mine, dont la rentabilité était considérée à l’époque modeste ce qui a amené les actionnaires à porter plainte devant la justice américaine en 2012.

Finalement les parties trouveront un accord au terme duquel le dossier sera clos : les actionnaires canadiens percevront 12,5 millions de dollars et les actionnaires américains 33 millions de dollars.

Peu de temps après il s’avèrera que la mine en valait bien la peine.

La politique de l’extension

En mai 2011 Kinross passera un contrat avec une société danoise (SMITH) pour une extension de la mine pour un montant de 33 millions de dollars, une opération destinée à élever le niveau de production pour le porter à 1 million d’onces annuellement soit 31 tonnes d’or à l’horizon de 2014.

A la fin de 2011 le vice-président des relations extérieures de la société Tasiast, Melaïnine O. Tomy annonçait la volonté de la société d’investir plus de 3 ?5 milliards de dollars pour l’extension de la mine, un montant revu à la baisse après une première étude réalisée par la société.

On retiendra l’idée de construire une nouvelle usine pour un coût de 2,7 milliards de dollars, capable de traiter quotidiennement 38.000 tonnes de pierres au lieu de 8.000 qui était la capacité de l’usine de l’époque.

Les études effectuées ont estimé que la production annuelle serait de 830.000 onces soit près de 26 tonnes d’or.

Le renoncement et la crise

Malgré l’étude de faisabilité du projet d’extension de la mine de mars 2014, la société Kinross annoncera en février 2015 la remise en cause du projet d’extension de sa mine, prétextant l’effondrement des prix de l’or désormais de 1150 dollars l’once.

En novembre 2015 la société annoncera un projet de substitution à l’extension de la mine, mais il s’agissait en fait d’une révision à la baisse du tonnage traité quotidiennement par la mine qui ne sera, dans un premier temps que de 12.000 tonnes, la phase de 38.000 tonnes étant remise à plus tard.

Cette période coïncidera avec l’arrivée en Mauritanie d’enquêteurs américains venus vérifier des accusations de corruption, des accusations jugées « impudentes » par la société.

Seulement le journal français « Le monde Afrique » avait évoqué une lettre adressée par la commission américaine de la sécurité et des échanges demandant à la société de donner des éclaircissements à propos de montants octroyés à des responsables mauritaniens et des proches de l’ancien président Mohamed O. Abdel Aziz.

Celui-ci, lors d’une conférence de presse le 28 novembre 2015 à Nouadhibou, avait dit que l’état a suspendu toutes ses relations avec la société, en attendant que celle-ci se disculpe des accusations de corruption portées contre elle.

Ould Abdel Aziz reviendra cependant plus tard pour démentir les accusations portées contre la société à propos de pots de vins à ses proches, ajoutant que le journal français avait obtenu de fausses informations communiquées par l’homme d’affaires en exil, Mohamed O. Bouamatou dans le dessein de nuire à sa réputation.

Depuis lors les relations entre le gouvernement mauritanien et la société ont commencé à se détériorer et des mouvements de grève violents sont intervenus.

L’inspection du travail avait dépêché une mission d’inspection qui accusera la société de faire travailler des expatriés ne disposant pas de contrats de travail.

Ce climat délétère amènera la société à fermer la mine et à arrêter le travail en juin 2016, une décision que l’ancien président Mohamed O. Abdel Aziz avait qualifié de « crise juridique », en réponse à une question se Sahara Medias, en marge des préparatifs du sommet arabe qui s’est tenu à Nouakchott.

Crise latente

Beaucoup d’eau coulera sous les ponts et la campagne médiatique à propos du différend entre le gouvernement et la société prendra fin, la pression de l’enquête américaine s’estompera et la société en octobre 2016 annoncera que le coût de la première extension de la mine devra couter 300 millions de dollars et la seconde, si elle était approuvée 600 millions de dollars soit au total près d’un milliard de dollars.

Malgré la poursuite des travaux d’extension de la mine, les problèmes avec la direction des impôts s’amplifiaient quand bien même la crise est restée silencieuse, loin des médias.

Les exonérations de la TVA à la charge de l’état s’accumulaient et restaient impayées, jusqu’à la conclusion de l’accord de lundi dernier.

Dans les mêmes conditions le gouvernement avait refusé de transférer le permis de prospection dans la zone de Tasiast-sud en un permis d’exploitation.

Il s’agit d’une nouvelle mine située à 15 kilomètres de l’ancienne mine et selon les données les perspectives sont prometteuses et la société y fonde l’espoir de booster à long terme ses opérations en Mauritanie.

Pour sa part, la Mauritanie voulait entreprendre de nouvelles négociations qui lui permettraient de conclure un nouvel accord à même de lui garantir de nouveaux gains, plus importants que ceux octroyés par l’ancien accord signé en 2016 avec la canadienne REDNECK.

Nouvelle page

Le président mauritanien, Mohamed O. Cheikh Ghazouani, un mois après son entrée en fonction, avait reçu, au palais présidentiel, le président-directeur général de la société Tasiast Mauritanie Limited Paul Linson avec lequel il a évoqué les relations entre le gouvernement et la société et les investissements que celle-ci se propose de réaliser pour l’extension de sa mine.

Il est évident que cette rencontre a permis d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre la société et l’état mauritanien et que le différend a été aplani.

En décembre dernier la société a annoncé avoir signé avec la société internationale de financement (SFI) et l’agence pour le développement des exportations canadiennes (EDC), avec la participation de deux banques ING BANK et société générale un accord de prêt définitif de 300 millions de dollars, une enveloppe suffisante pour réaliser la première extension de la mine.

Depuis lors les négociations entre la société et le gouvernement mauritanien ont pris un autre tournant afin de résoudre les problèmes en suspens, notamment la volonté de Tasiast de payer les droits dus à l’état (16 milliards d’anciennes ouguiyas) et la mutation du permis de prospection de Tasiast-sud en un permis d’exploitation.

Il y a également la volonté du gouvernement mauritanien de réviser la convention et à pousser plus la société vers le développement du secteur des mines.

Après plusieurs mois de négociations les deux parties sont parvenues à l’accord qui a été signé lundi.

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