Le président nigérien Mohamed Bazoum a reconnu lundi, devant le forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, que les organisations terroristes actives dans la zone du Sahel sont « supérieures » à certains égards aux armées nationales, mais elles présentent des « faiblesses importantes » dont notamment l’absence de véritable «projet politique ».
Le chef de l’état nigérien s’exprimait à l’ouverture de la 7ème édition du forum international organisé cette année sous le thème « les défis de la stabilité et le décollage en Afrique dans le monde à l’après covid ».
Prennent part à ce forum organisé par le ministère sénégalais des affaires étrangères de centaines de décideurs du continent africain, des responsables, hommes politiques et académiciens en plus de la ministre française des armées et bon nombre de partenaires internationaux.
Dans son discours à l’ouverture du forum, le président nigérien a insisté sur la sécurité au Sahel, faisant la comparaison entre les groupes armés qui opèrent actuellement dans la région et les mouvements rebelles dans les années 60 du siècle dernier.
Avantage sur les armées
Le président nigérien a ajouté que les organisations actuelles ont bénéficié des conditions offertes par les nouvelles technologies et sont désormais capables de faire face à des armées régulières.
Il a encore dit que la chute du régime de Mouammar Kadhafi et le déclanchement de la guerre civile en Libye ont permis aux organisations terroristes d’obtenir de grandes quantités d’armes.
Aucun groupe rebelle dans le monde ne pouvait disposer des mêmes armes que détiennent les armées régulières qui les combattent comme c’est le cas aujourd’hui au Sahel et je peux dire que les terroristes ont un avantage sur les armées nationales car disposant de certaines armes notamment les RBG et les canons M80, considérés comme les armes les plus importantes dans cette guerre.
Le président nigérien, dans le même ordre d’idées a évoqué l’utilisation par les groupes terroristes de motocyclettes qui leur offrent une supériorité tactique à cause des facilités de déplacement lors des affrontements avec les armées.
Les sources de financement
Evoquant les sources de financement de ces groupes, le président Bazoum a dit ceux-ci sont financés par les réseaux de trafiquants de la drogue vers l’Europe et l’Asie, actifs depuis plus de deux décennies dans le nord du Mali.
Il y a également les rançons payées par certains pays pour faire libérer leurs otages au Sahel.
Le président Bazoum a encore dit que les mines d’or et l’orpaillage artisanale sont également devenues une source importante de financement du terrorisme, car ces organisations contrôlent de nombreuses mines d’or dans la région et ont encouragé la reprise de la prospection aurifère artisanale ».
Dans certaines régions les organisations terroristes s’adonnent au vol du bétail et imposent des redevances aux populations locales.
Les points faibles
Selon le président nigérien les organisations terroristes au Sahel ont plusieurs points faibles qui les empêchent de réussir sur le long terme ajoutant que le talon d’Achille de ces organisations est leur manque de projet de société, la faiblesse de leur encadrement politique. , et leur incapacité à établir la forme la plus simple d’une administration.
Mohamed Bazoum a affirmé que l’organisation d’Al Qaida dans le Maghreb islamique quand elle avait occupé le nord du Mali en 2012, avait essayé d’appliquer la Charia et la création d’un émirat islamique car l’organisation était dirigée par des algériens et des sahraouis qui ont disparu aujourd’hui et donc le projet s’est affaibli.
Le président nigérien a estimé qu’il fallait faire la différence entre les deux plus importantes organisations : le groupe Nousratou Al Islam We El Mouslimine et l’organisation de l’état islamique dans le grand Sahara.
Selon Bazoum le premier groupe se base essentiellement sur des jeunes issus en majorité des écoles coraniques traditionnelles et cela apparaît sur le terrain à travers des cercles de prédication, et en ciblant les symboles de l’État (notamment les écoles).
En revanche, rien de tout cela n’apparaît dans l’organisation de l’État islamique dans le Grand Sahara, qui s’appuie sur son travail sur des bergers qui n’ont jamais fréquenté les écoles coraniques, et adeptes d’un islam très superficiel.
Poursuivant son discours, le président nigérien a dit que depuis que le terrorisme est devenu source de revenu, il a attiré les voleurs et les trafiquants et les organisations, dans l’ouest du Niger, dans le nord Mali et dans l’est du Burkina Faso ont commencé à s’adonner à la violence contre les populations locales et à leur imposer des prélèvements sous prétexte de la zakat, au milieu d’un climat de terreur.
Le danger politique
Pour le président nigérien les groupes actuels sont bien loin des mouvements rebelles nés il y a six décennies qui imposaient aux révolutionnaires d’être au sein de la société comme un poisson dans l’eau, alors que les terroristes aujourd’hui ne vivent pas parmi la société mais plutôt en marge et la soumette à la violence et aux exactions.
Mohamed Bazoum a mis en garde contre le danger politique de ces organisations ajoutant que « si le terrorisme dans le Sahel se revendique islamique, il n’en demeure pas moins qu’il ne porte aucun projet véritable à caractère politique. »
Il a expliqué dans le même contexte que « la pression exercée sur la population à travers les massacres ethniques et l’extorsion, a créé un état de frustration qui s’est propagé à travers les médias sociaux.
Cela a créé à son tour un état de panique qui a affecté gravement l’état psychologique général du pays, et faisant naître un besoin urgent d’un sentiment de sécurité qu’accompagne une sorte d’impatience, une situation mise à profit par les partis politiques d’opposition et certaines organisations de la société civile.
Pour le chef de l’état nigérien, tout ce qui précède illustre le fait que « les organisations terroristes au Sahel, dirigées par des bergers sans instruction, et opèrant sans aucun projet politique, ont réussi à creuser un fossé entre les groupes locaux sur une base ethnique.
Ils ont également réussi à hypothéquer la confiance des citoyens à l’endroit de l’état en mettant en doute sa capacité à garantir la sécurité des populations. »
Ils ont également réussi à amplifier une campagne de diffamation vis-à-vis des alliés internationaux dans la guerre commune contre le terrorisme.
Le président nigérien, à la fin de son discours a qualifié la situation de « très dangereuse » avant d’ajouter que « les pays du Sahel se doivent de mettre en place des stratégies militaires adaptées aux défis et à utiliser des techniques et des moyens à même de leur permettre d’imposer une guerre d’égal à égal et c’est à cela qu’œuvre le Niger. »
Il a a enfin conclu que les pays du Sahel ont besoin du soutien de leurs partenaires internationaux notamment dans le domaine du renseignement, l’appui aérien et le renforcement des capacités des armées nationales.